Focus : à Grimaud, un projet pour le littoral de demain

La cité lacustre de Port-Grimaud (à l’embouchure d’une rivière)

Dans les années 1960, Grimaud, village agricole au fond de la baie de Saint-Tropez, accueillait un architecte qui voulait rompre avec les tendances de son époque et fit bâtir une ville touristique à rebours des fronts de mer massivement bétonnés. Le rêve était trop beau, les collectivités locales doivent aujourd'hui faire face aux risques de submersion, d'érosion et de privatisation du littoral. En 2019 et 2020, une équipe d'étudiants en architecture de l'ÉAVT est intervenue pour les aider. Les précisions de Thomas Beillouin, architecte et urbaniste, enseignant-chercheur à l'ÉAVT.

Le rêve de François Spoerry

En 1964, l'architecte mulhousien François Spoerry, un passionné de la mer connu pour ses nombreux projets de marinas, achète des terres marécageuses pour y bâtir son rêve : la cité lacustre de Port-Grimaud (à l'embouchure d'une rivière), un ensemble de 2 200 logements inspirés de l'architecture vernaculaire, pensé sur le modèle de la maison de pêcheur contre les canons modernistes des grands ensembles en béton qui recouvrent le littoral de l'après-guerre. La cité lacustre s'étend sur 75 hectares. Le long de ses 7 kilomètres de canaux s'alignent de petites maisons couvertes de tuiles ; Port-Grimaud est un pastiche de Venise dans un style d'inspiration provençale. L'architecte imaginait une cité piétonne où serait renoué un lien fort entre la terre et la mer. La cité, aujourd'hui labellisée Architecture contemporaine remarquable, est bien loin de ces intentions initiales. Elle est devenue une grande copropriété de résidences secondaires, les commerces et l'artisanat attendus sous les arcades des bâtiments sont tous à vocation touristiques, les accès à ce bien commun patrimonial sont contrôlés par une société de gardiennage et autour de cette gated community, aucun des logements sociaux n'a finalement vu le jour suite aux oppositions des premiers propriétaires. Au-delà de cet échec social, la commune de Grimaud fait face à des contraintes environnementales. Pour Thomas Beillouin, docteur en architecture à l'Université Paris-Est : « Port-Grimaud se révèle en décalage avec les réalités agricoles et les enjeux climatiques, le bourg originel se trouve en surplomb de cette plaine basse et submersible, ce n'est pas un hasard. Aujourd'hui, il faut réussir à pointer les défaillances de cette urbanisation et changer de paradigme ». Le littoral doit se réinventer pour l'horizon du XXIème siècle.

Le littoral, terre d'architectes

La tempête Xynthia, en février 2010, a été un moment charnière pour les politiques publiques et pour les universitaires. En 2018, l'ÉAVT participe à la création d'une chaire associant des écoles d’architecture, un bureau d’études et un organisme interministériel. Intitulée « Le littoral comme territoire de projets », Thomas Beillouin en est le coordinateur : « Il faut faire entendre les disciplines de projet comme l'architecture, l'urbanisme et le paysage sur la question des risques littoraux, investie jusqu'à présent surtout par la géographie et la géophysique ». En 2019, un groupe d'étudiants inscrit au DSA (diplôme de spécialisation et d'approfondissement) d'architecte-urbaniste de l'ÉAVT est missionné pour une étude sur Grimaud. En lien avec la Communauté de Communes du Golfe de Saint-Tropez, la mairie de Grimaud et la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) Provence-Alpes-Côte d’Azur, ils doivent proposer des solutions pour adapter le territoire aux dynamiques du littoral et permettre aux habitants de mieux composer avec les risques afférents. Pour Thomas Beillouin : « Il s’agit de valoriser ce patrimoine singulier tout en atténuant les erreurs d’un urbanisme négligent de la valeur écologique et sociale du territoire ».

Dans leur étude, publiée en 2020, les jeunes chercheurs proposent une nouvelle vision du littoral et invitent à retrouver son épaisseur, en relocalisant par exemple les campings en retrait du rivage, en requalifiant des chemins agricoles en voie d'accès à la mer pour des mobilités douces, en imaginant des structures légères et démontables, une architecture « douce » plutôt que des implantations en dur en bord de mer. La cité lacustre elle-même y retrouve ses intentions piétonnes, s'ouvre au public et renoue avec l'eau en accompagnant l'élévation de niveau de la mer. « L'approche universitaire permet de bouger les lignes et de répondre plus librement à ces commandes d'études prospectives », estime Thomas Beillouin. Pour les étudiants, cette mise en situation est un apprentissage du dialogue avec les collectivités et leurs services techniques. « Maintenant, il faut des élus pour transformer l'essai », ajoute le chercheur en architecture.

Consulter l'étude « Érosion du littoral et montée du niveau marin à Grimaud : un patrimoine architectural et sédimentaire en péril ? »

Cartographie des risques sur le littoral de Port-Grimaud